Objet caché de la mission parlementaire en Californie ...
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Ma chère famille,
C’est la première fois que je vous écris. Une lettre pour vous tous. Pour toi, ma mère M’Barka. Pour vous mes sœurs, mes six
sœurs. Et pour vous mes deux frères. Je vous écris par mon cœur et ma peau ces lignes qui sortent enfin de moi et qui me viennent aujourd’hui dans l’urgence. Je ne peux pas ne pas les dire, les tracer. Vous les envoyer. Expliquer ma démarche, ce que je suis, ce que j’écris et pourquoi je le fais.
Expliquer ?! Oui, expliquer davantage parce que j’en ressens la nécessité intérieure et parce que vous, ma famille, n’avez pas pris la peine de lire, de bien lire, ce que j’ai publié – livres, articles, interviews… Expliquer parce que depuis longtemps c’est ce qui nous manque au Maroc : qu’on nous considère enfin comme des êtres dignes de recevoir des explications, qu’on nous implique vraiment dans ce qui concerne ce pays et qu’on cesse de nous humilier jour après jour.
Je sais que je suis scandaleux. Pour vous. Et pour les autres autour de vous : les voisins, les collègues au travail, les amis, les belles-mères… Je sais à quel point je vous cause involontairement du “mal”, des soucis. Je m’expose en signant de mon vrai prénom et de mon vrai nom. Je vous expose avec moi. Je vous entraîne dans cette aventure, qui ne fait que commencer pour moi et pour les gens comme moi : exister enfin ! Sortir de l’ombre ! Relever la tête ! Dire la vérité, ma vérité ! Etre : Abdellah. Etre : Taïa. Etre les deux. Seul. Et pas seul à la fois.
Au-delà de mon homosexualité, que je revendique et assume, je sais que ce qui vous surprend, vous fait peur, c’est que je vous échappe : je suis le même, toujours maigre, toujours cet éternel visage d’enfant ; je ne suis plus le même. Vous ne me reconnaissez plus et vous vous dites : “Mais d’où lui viennent ces idées bizarres ? D’où lui vient cette audace ? On ne l’a pas éduqué comme ça… Non seulement il parle publiquement de sexualité, non, non, cela ne lui suffit pas, il parle d’homosexualité, de politique, de liberté… Pour qui se prend-il ?”
Je viens du Maroc. Je connais le Maroc.
Réussir, exister, c’est avoir de l’argent. Ecraser les autres avec son argent. Depuis que je suis né, en 1973 à Rabat, c’est cela l’idéal marocain, le modèle à suivre. Comme vous, je suis né pauvre, j’ai grandi pauvre à Salé. Je reste d’une certaine façon, aujourd’hui encore, pauvre.
Moi, je refuse cet idéal marocain stérile. Cette platitude. Il ne me convient pas. Je le dépasse. L’idéal marocain, moi, à mon petit niveau, je le réinvente. Je le remplis avec un nouveau contenu, avec du sens, du courage et du doute… C’est cela, au fond, ce qui vous choque : je me révèle autre, quelque chose que vous n’avez pas prévu, vu venir. Un monstre. En plus, à côté de vous, j’ai toujours été tellement gentil, tellement studieux et bien élevé.
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